viernes, 10 de junio de 2016

Art contemporain: Recherche artistes français, désespérément

En dépit de quelques réussites individuelles, l’art contemporain français n'existe presque pas sur la scène internationale. C’est d’autant plus dommageable que la légitimité et la reconnaissance des artistes, dans un marché devenu planétaire, se gagnent hors des frontières.
Les rares succès n’en sont donc que plus formidables et inattendus, comme ceux presque simultanés de trois jeunes artistes françaises en quelques mois: Camille Henrot recevant le Lion d’Argent lors de la 55e Biennale de Venise en 2013, Laure Prouvost récompensée en décembre par le Turner Prize, à Londres, ou Pauline Curnier Jardin exposant au MIT List Visual Arts Center à Boston, le musée du prestigieux Massachusetts Institute of Technology. Mais toutes les trois ont gagné cette reconnaissance en s’expatriant: Laure Prouvost à Londres à la fin des années 90, Camille Henrot à New York depuis 2012 et Pauline Curnier Jardin à Berlin.
Ces succès sont inhabituels à plus d’un titre. Ils sont le fait de femmes, jeunes et françaises. Ils illustrent aussi le fait qu’en restant en France et dans les systèmes français, il est devenu presque impossible pour de jeunes artistes contemporains de réussir.
Au contraire de leurs homologues américains, anglais, allemands, suisses… ils semblent n’intéresser personne, peu de collectionneurs privés, peu de galeristes capable de les propulser sur la scène internationale, à l’exception toutefois de fondations récentes comme la Maison Rouge d'Antoine de Galbert (2003), la Fondation Ricard (2006) ou le Sam Art Project de Sandrine et Amaury Mulliez (2009), qui font de réels efforts.
Même l’Etat ne croit pas aux artistes français et complique les choses en imposant un double taux de TVA sur la vente de leurs œuvres. Un taux préférentiel est appliqué aux œuvres d’art d’un artiste étranger (5,5%) tandis que l’artiste français sera lui taxé à 10%. L’exception culturelle française... à l’envers.
La présence de plasticiens français dans les expositions temporaires est anecdotique, et quasi-inexistante dans les collections permanentes des grandes institutions culturelles internationales. Déjà en 2000, le chercheur Alain Quemin établissait un constat sévère sur l’état de l’art contemporain en France. Quatorze ans plus tard, on ne peut pas dire que la situation se soit améliorée.

Des commandes publiques en circuit fermé

Alors, bien sûr, nous avons la FIAC, la foire d’art contemporain, qui se tient au début de l’automne à Paris depuis plus de 40 ans. Elle tente de se redynamiser, mais pourtant, tend surtout à confirmer les valeurs sûres et étrangères. Son salut viendra peut être de ses déclinaisons à l’étranger, à Los Angeles en 2015 ou, de manière plus hypothétique, à Saint-Pétersbourg.
Bien sûr aussi, Paris attire encore des galeries. Quand Larry Gagosian s’installe au Bourget ou Thaddaeus Ropac à Pantin, on s’extasie. On souligne aussi que d’autres font le choix de rester, comme l’américaine Marian Goodman, présente depuis 1995.
Mais ces méga-galeries ne sont pas là pour découvrir ou promouvoir de nouveaux talents français. Quant aux galeristes  parisiens, s’ils veulent continuer à exister, ils doivent se tourner vers l’étranger en s'installant, avec succès, à Shanghai (Madga Danysz), Hong Kong (Galerie Perrotin), Bruxelles (Daniel Templon) ou New York (Galerie Zürcher).
Quant au second marché, qui établit réellement la «valeur» marchande des œuvres, et qui passe par les maisons de vente, la place parisienne est largement désavantagée face à ses concurrentes par une fiscalité pénalisante et complexe, et son éclatement en pas moins de 74 maisons intervenant à Drouot. Résultat, selon Artprice, le marché parisien représentait l'an dernier 2,8% du marché mondial, très loin derrière les Etats-Unis et la Chine, quasi ex aequo à près de 33%, et le Royaume-Uni, à 21%. On comprend mieux que les vendeurs potentiels préfèrent être à New York et Londres.
La vraie exception française en matière d’art contemporain? Des institutions publiques comme le Fonds national d'art contemporain (FNAC) et les 23 Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), qui viennent de fêter leur trentième anniversaire. De vraies «machines» bureaucratiques au service de l’art.
La collection d'art contemporain appartenant à l'État comprend près de 96.000 œuvres achetées, dont la moitié produites par des artistes français, entreposées sur 4.500m2 dans le quartier de la Défense à Paris. Chaque année, entre 600 et 1000 œuvres sont acquises. Mais les commandes d'Etat parasitent la scène artistique en surreprésentant des artistes qui vivent presque exclusivement de la manne publique et les acquisitions sont faites dans la plus grande opacité.
Les artistes issus de ce système fermé sont totalement absents des catalogues de vente. Et les rares artistes français qui ont réussi à émerger au cours des dernières années l’ont fait hors de la sphère publique.
Cela se voit dans les classements. Selon Artprice, le premier français en termes de ventes en 2013, Robert Gombas, arrive en 81e position. Son record? 166.000 dollars pour une toile de 1985 vendue à Bruxelles. Pour mettre en perspective, le dernier grand artiste français «contemporain» à apparaître dans les ventes d’art est Yves Klein, décédé en 1962! Sa dernière toile vendue remonte à 2012 chez Christie’s à Londres, à un peu plus de 23 millions d’euros.

Valeur marchande et nationalité

On peut le dénoncer ou le déplorer, mais le constat est sans appel. La valeur esthétique d’un artiste est plus que jamais liée à sa valeur financière. Plus un artiste vend d’œuvres, plus il sera reconnu.
Les codes de la scène artistique contemporaine sont devenus de plus en plus marchands au fil des années. Une accélération de la monétisation de l’art qui est notamment liée à la place plus grande prise par les grands collectionneurs privés au détriment des institutionnels.
En devenant collectionneurs, les financiers et les gestionnaires de hedge funds (fonds spéculatifs) ont introduit de nouvelles règles. Ils achètent de l’art comme un investissement parmi d’autres, recherchant en priorité les valeurs sûres leur «garantissant» une plus-value. Du coup, ils tendent à stabiliser, voire à figer, les positions occupées par les artistes. Un des éléments pour minimiser les risques de leur investissement est la nationalité, et certaines «fonctionnent» mieux que d’autres à ce petit jeu.
Il est évidemment absurde de raisonner seulement en terme de nationalité dans le domaine de l’art, de vouloir cloisonner l’artiste dans un périmètre de frontières. C’était vrai hier, ça l'est encore plus aujourd'hui à l’heure de la mondialisation. L’artiste a un passeport, mais son travail, ses inspirations proviennent d’univers multiples où se mêlent formation, lieu où il travaille, vit, confrontations avec ses pairs...
La mondialisation a bouleversé le marché de l’art, que ce soit les galeries, qui désormais, pour continuer à exister, multiplient leurs annexes internationales, ou encore les grandes maisons d’enchères, qui ont développé des bureaux et des ventes spécifiques aux quatre coins de la planète. L’effacement des frontières est même devenu une réalité pour les musées, qui conçoivent les grandes expositions  en collaborations entre plusieurs institutions internationales.
Enfin, et c’est particulièrement vrai aux Etats-Unis, les institutions reconnaissent les talents quels que soient leurs passeports.  Philippe Vergne, un Français qui a fait l’essentiel sa carrière en dirigeant des institutions aux Etats-Unis, à Minneapolis puis plus récemment au Dia Beacon à New York, a été choisi pour diriger le Museum of Contemporary Art (Moca) de Los Angeles au début de cette année.

Les modèles britannique et allemand

Mais la question de la nationalité reste tout de même pertinente. Elle est le reflet du dynamisme d’une jeunesse et d’une culture, et plus encore un levier pour promouvoir les jeunes artistes sur la scène internationale.
Ainsi, l’explosion britannique dans l’art contemporain au tout début des années 1990 est sans aucun doute dû au soutien et à la volonté d’un «grand patron», Charles Saatchi, qui a permis à une génération d’artistes britanniques d'éclater sur le devant de la scène artistique, notamment au sein des «Young British Artists», en appuyant par diverses actions, comme l’exposition massive des artistes nationaux, et en facilitant leur promotion internationale.
Un développement qu’est venu renforcer la place de Londres, qui a su garder sa toute première importance, notamment pour les ventes aux enchères de l’art contemporain. Enfin, un événement a su «capitaliser» cette place centrale, la foire de Frieze qui en à peine une dizaine d’années d’existence, a su se hisser dans le trio des foires les plus importantes au monde, tandis que la Tate Modern, musée consacré à l’art contemporain depuis son ouverture en 2000, a su drainer plus de 40 millions de visiteurs
En Europe, l’autre pays qui a su promouvoir l’art contemporain est l’Allemagne, avec une démarche et des atouts bien différents. Un curieux mélange d’initiatives publiques et privées, comme l’ABC (Art Berlin Contemporain), une manifestation pilotée par l'Administration du Sénat de Berlin pour l'économie, la technologie et la recherche, la chancellerie des affaires culturelles de la ville et la Deutsche Bank. Ou comme la série d'expositions organisées à Hanovre en 2012, «Made in Germany», qui montrait un instantané de la scène artistique contemporaine en Allemagne.
Surtout, le pays bénéficie de l’aura particulière de Berlin, qui concentre près de 20.000 artistes et 450 galeries depuis une quinzaine d’années dans les quartiers de Mitte, Kreuzberg, ou plus récemment Potsdamer Straße. Enfin, il faut souligner la place particulière de la prestigieuse Documenta, une exposition internationale qui se tient tous les cinq ans pour une durée de 100 jours à Cassel, depuis 1955.
Restent en Europe deux autres villes qui sont des hauts lieux de convergence des amateurs d’art contemporain: Venise, avec sa biennale incontournable depuis sa création à la fin du XIXe siècle, et Bâle, avec sa foire qui transforme chaque année la ville suisse durant un long week-end de juin.

Les Etats-Unis, le centre du monde 

Mais un pays concentre tous les atouts: les Etats Unis, et cela depuis 1945. Si au début des années 1950, la France était encore un lieu attractif pour les artistes, les galeries et le marché, au tournant des années 1960, New York a pris le relais.
La ville a alors tout raflé: marché, galeries et artistes, américains bien sûr, mais pas seulement. Les grands mouvements  de l’art contemporain qui ont rythmé l’après-guerre sont nés de l’autre côté de l’Atlantique, que ce soit l’art abstrait, l’art minimaliste ou encore le pop art. A présent, et même si les artistes américains ne sont plus seuls à tenir la place, le pays garde son pouvoir d’attraction auprès des jeunes artistes.
C’est simple, si un artiste veut obtenir une reconnaissance internationale, et s’il veut parvenir au premier plan, il travaillera à un moment ou un autre aux Etats-Unis: qu’il soit chinois comme Ai Weiwei, brésilien comme Vik Muniz ou français tel Pierre Huyghe, qui tous ont eu ou ont encore un atelier dans la cité.
La ville offre une concentration incroyable de près de 1.000 galeries disséminées dans plusieurs quartiers –Midtown, Chelsea, Lower East Side, Williamsburg ou Bushwick. Ces ventes aux enchères servent de référence au marché mondial.
La force des Etats-Unis est d’être resté un carrefour. Ainsi, la foire Art Basel de Miami, qui se tient en décembre, après une première année un peu difficile en 2001, a très vite su saisir l’attention d’un vaste public dépassant les habituels amateurs d’art, et attiré largement toute l’Amérique latine. Sur la côte Ouest, depuis quelques années, le renouveau de la scène californienne anime Los Angeles, où une nouvelle concentration d’artistes, de jeunes collectionneurs et de galeries revitalise la ville et en fait une porte ouverte vers l’Asie.
Il n'y aucune fatalité pour que la France et ses artistes soient exclus de cette mondialisation de la scène contemporaine, même si le constat est peu réjouissant. L’agence de presse Bloomberg a établi deux classements pour 2013, des jeunes artistes de moins de 40 ans et de moins de 30 ans à partir des ventes répertoriées par Art Price. Si une forte majorité d’artistes provenait des pays asiatiques ou de pays émergents, on ne pouvait compter qu’un seul français sur les deux listes… JR.
Cela ne signifie pas que les talents manquent en France, bien au contraire. Ce qui manque c’est à la fois l’envie et les moyens de faire connaître les jeunes artistes français.
Il ne faudrait pas grand-chose pour tout changer. Un Saatchi par exemple, ou à défaut la création d’un sorte de vitrine pour promouvoir les artistes français au cœur du marché américain, comme l'ont fait les Suisses avec le Swiss Institute.

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BLANCA ORAA MOYUA

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