Circuler à travers les œuvres proposées au regard du visiteur, c’est cheminer dans un “labyrinthe d’énigmes”. Comment avez-vous procédé au choix des pièces présentées, parmi lesquelles une nouvelle œuvre, Sectile, un sol constitué de quartzite et granite ?
Une exposition est toujours un moyen de rapporter à une famille d’idées qui m’intéressent, de nouvelles pensées, donc de nouvelles œuvres. Sectile, réalisée en 2016, décline un nouvel axe d’exploration, elle cohabite ici avec des œuvres déjà existantes. J’ai donc réalisé la sélection des œuvres, en dialogue étroit avec Kamel Mennour.
Les œuvres développent un champ large, aussi bien en termes de matériaux (marbre, verre, cuivre…) que de voies de réflexion qu’elles inspirent : les “typicités” d’œuvres sont ici particulières.
J’ai toujours articulé plusieurs matériaux et les problématiques se sont résolues dans des directions qui peuvent sembler différentes, mais construire une exposition est un moyen d’articuler une série de pensées. Des pensées qui peuvent sembler distinctes et qui se lisent pourtant comme une suite de parenthèses dans le texte qui est en cours d’écriture.
Dès l’entrée de l’exposition, on peut observer ce qui apparaît comme la pièce centrale, à savoir The Price of Copper, une fontaine constituée d’une plaque de cuivre avec, en son centre, un jaillissement d’eau permanent, susceptible de s’interrompre. On explore ici l’idée du matériau brut et du devenir que lui octroie la main de l’homme. L’intelligence, le savoir-faire, donc, mais si l’on resitue cela dans l’actualité, on peut y percevoir une interrogation sur la valeur du travail. Comment remettez-vous au centre des préoccupations la valeur du travail de l’homme ?
D’un point de vue conceptuel, c’est effectivement autour de cette pièce qu’est construite l’exposition. Il y a plusieurs choses qui m’ont intéressé dans cette plaque de cuivre. La première est la valeur historique et symbolique, c’est-à-dire l’histoire économique du cuivre au regard de Chypre. En effet, on peut retracer la destinée de Chypre par la découverte et l’exploitation de ce métal : au sens littéral, cuivre est “le métal de Chypre”. Cette plaque est donc du matériel brut, traditionnellement extrait des mines. De nos jours, on découpe la roche, on pulvérise la pierre et on extrait le métal à l’aide de l’électrolyse, ce qui donne cette plaque, équivalent du talent de cuivre, soit une unité de mesure, une transposition, donc, dans la sphère du commerce contemporain.
Ce qui m’a fasciné dans ce processus, est que ces mines de cuivre sont les plus anciennes au monde. Or, les technologies et la connaissance actuelles nous apprennent que les filons de cuivre vont se tarir dans quelques années. Le prix du cuivre a énormément augmenté, ce qui induit le paradoxe suivant, la valeur du métal contredit parfois la valeur ajoutée, comme dans le cas de l’art. Ainsi, de nombreuses sculptures d’art moderne, notamment de Barbara Hepworth, ont été dérobées dernièrement et fondues. Fondre des objets pour utiliser le métal est une constante dans l’histoire de l’Humanité. C’est la raison pour laquelle très peu de sculptures en métal de l’Antiquité nous sont parvenues. Elles ont été tout simplement fondues, souvent lors des guerres, pour la fabrication de canons ou d’armes, ou pour la vente du métal. Cette complexité de la valeur du métal, de la valeur ajoutée m’a toujours fasciné. Le titre de la pièce provient de là : The Price of Copper, ou L’achat du cuivre, qui correspond à une traduction en français du texte éponyme de Bertold Brecht.
C’est un texte inachevé, sorte de testament de l’auteur, dans lequel il évoque une scène où un homme entre dans une boutique d’instruments à vent pour acquérir une trompette. Le vendeur lui en communique le prix, et le client répond alors que l’instrument ne l’intéresse pas en tant que tel, car il n’en apprécie pas le son et ne sait d’ailleurs pas en jouer, en revanche, il souhaite l’acheter pour le métal, et lui en propose donc une somme dérisoire eu égard au savoir-faire que représente la fabrication d’un tel instrument de musique.
Aussi, à la vue de cette plaque de cuivre que j’ai achetée dans une mine à Chypre, mon idée a été de travailler sur une constante dans l’histoire de l’art, à savoir la fontaine, et de transformer ce métal de manière très spontanée, afin de lui octroyer une fonction autre que le seul usage du métal, mais qui soit complètement réversible. Cette pièce est la quatrième fontaine que je réalise sur ce principe, elles sont toutes différentes et l’assemblage est fait in situ. Tant que l’eau coule, l’objet fontaine existe doté de la valeur ajoutée liée à la fonctionnalité octroyée par le travail de l’homme, lorsque le flux s’interrompt, il reprend son identité de “simple” métal de cuivre.
Ce qui m’a fasciné dans ce processus, est que ces mines de cuivre sont les plus anciennes au monde. Or, les technologies et la connaissance actuelles nous apprennent que les filons de cuivre vont se tarir dans quelques années. Le prix du cuivre a énormément augmenté, ce qui induit le paradoxe suivant, la valeur du métal contredit parfois la valeur ajoutée, comme dans le cas de l’art. Ainsi, de nombreuses sculptures d’art moderne, notamment de Barbara Hepworth, ont été dérobées dernièrement et fondues. Fondre des objets pour utiliser le métal est une constante dans l’histoire de l’Humanité. C’est la raison pour laquelle très peu de sculptures en métal de l’Antiquité nous sont parvenues. Elles ont été tout simplement fondues, souvent lors des guerres, pour la fabrication de canons ou d’armes, ou pour la vente du métal. Cette complexité de la valeur du métal, de la valeur ajoutée m’a toujours fasciné. Le titre de la pièce provient de là : The Price of Copper, ou L’achat du cuivre, qui correspond à une traduction en français du texte éponyme de Bertold Brecht.
C’est un texte inachevé, sorte de testament de l’auteur, dans lequel il évoque une scène où un homme entre dans une boutique d’instruments à vent pour acquérir une trompette. Le vendeur lui en communique le prix, et le client répond alors que l’instrument ne l’intéresse pas en tant que tel, car il n’en apprécie pas le son et ne sait d’ailleurs pas en jouer, en revanche, il souhaite l’acheter pour le métal, et lui en propose donc une somme dérisoire eu égard au savoir-faire que représente la fabrication d’un tel instrument de musique.
Aussi, à la vue de cette plaque de cuivre que j’ai achetée dans une mine à Chypre, mon idée a été de travailler sur une constante dans l’histoire de l’art, à savoir la fontaine, et de transformer ce métal de manière très spontanée, afin de lui octroyer une fonction autre que le seul usage du métal, mais qui soit complètement réversible. Cette pièce est la quatrième fontaine que je réalise sur ce principe, elles sont toutes différentes et l’assemblage est fait in situ. Tant que l’eau coule, l’objet fontaine existe doté de la valeur ajoutée liée à la fonctionnalité octroyée par le travail de l’homme, lorsque le flux s’interrompt, il reprend son identité de “simple” métal de cuivre.
C’est donc le regardeur et tout ce qui le constitue ; ses centres d’intérêt, ses angoisses, ses accomplissements ; qui va octroyer, restituer une histoire à cette pièce. Ce qui est frappant dans votre travail est toute la dimension de l’intangible.
J’aime beaucoup ce mot, cette notion rejoint tout à fait mon interprétation. C’est exactement ce qui m’intéresse dans l’art. C’est ce qui différencie fortement les articulations artistiques des articulations théoriques critiques ou philosophiques, par exemple : cela est de l’ordre de l’intangible. J’aime imaginer mes pièces comme des sortes de concentrations de nombreuses pensées.
Une voie où le spectateur peut cheminer, réfléchir, s’interroger sur la valeur du travail, notion fondatrice qui connaît de profondes remises en cause au plan mondial : travail en tant que labeur et savoir-faire, dans le rapport entre homme et matériau et le lien d’interdépendance, amour impossible, amour-haine. On lit toute ces dimensions dans vos pièces.
Effectivement, c’est assez diachronique comme lecture de l’histoire, avec un rapport économique des forces. Et cette relation parfois très vicieuse entre l’homme et la matière…
L’exposition développe également un autre aspect de votre travail, à savoir, celui réalisé à Canton, plateforme économique de fabrication des fleurs artificielles, où la production de qualité est destinée au marché nord-américain, tandis que le rebut demeure en Chine. Que voulez-vous montrer à travers ces photographies ?
A l’origine, j’avais en tête l’idée d’un pèlerinage inversé. Je voulais me rendre en Chine, dans cette région qui concentre la production de fleurs artificielles en objets mondialisés, symboliquement, esthétiquement très caractérisés. A travers les siècles, la fleur artificielle est passée de l’ordre du désir du collectionneur, – Marie-Antoinette en possédait une importante collection – à un objet kitsch, produit en masse. Lors de ce pèlerinage inversé, j’ai sollicité une fleuriste spécialisée pour l’achat de plusieurs variétés de fleurs artificielles, à ma grande stupéfaction elle m’a alors invité à procéder à l’achat aux Etats-Unis, via un site Internet… car dans leur lieu de production, elles n’étaient pas disponibles, seul le second choix restant sur le marché domestique. Ainsi, ce centre de la mondialisation des produits est en quelque sorte vide, il procède en déconstruisant toute logique. Fort de ces observations, je me suis intéressé à cette espèce de complication, d’échec, et je me suis rendu dans des usines en me faisant passer pour un acheteur occidental. On m’a donné accès au “jardin” des fleurs irréprochables, où j’ai procédé à une sorte de cueillette de fleurs artificielles. J’en ai extrait une série de photos, qui constitue une partie atypique du corpus. Pour l’une de ces photos, j’ai associé à une branche de bougainvillier naturel des fleurs artificielles qui, visuellement, se confondent.
Cela semble rejoindre vos préoccupations en lien avec l’histoire : l’histoire ressuscitée, l’histoire fabriquée. Vous avez ainsi travaillé autour du Rainbow flag, ce drapeau mis au point en 1978 par l’activiste Gilbert Baker à partir d’un choix de couleurs qui a évolué avec le temps. Du fait de l’exclusion du rose, alors en rupture de stock, deux teintes ont en effet été supprimées par Baker dans la version finale pour des raisons d’équilibre esthétique : le turquoise et l’indigo. Là encore, vous avez exhumé, réhabilité ces couleurs tombées dans l’oubli.
Je les ai plus ou moins adoptées. En observant le rainbow flag, je me suis aperçu que l’original ne correspondait pas. J’ai vite découvert cette histoire qui m’a fasciné. A l’issue de la “disparition” du rose, Gilbert Baker a proposé un autre format, qu’il a nommé The commercial version, sans rose, donc, mais où il a effectivement supprimé deux couleurs et intégré une nouvelle, le bleu royal. Tout cela illustre la manière par laquelle, dans l’économie, l’esthétique influence les valeurs symboliques. J’ai donc créé un vitrail qui colorise et filtre le spectre de la lumière en un arc-en-ciel.
La mémoire, l’histoire, le geste, l’Homme et le sentiment inscrit dans la sincérité mais aussi le sentiment que l’on croit sincère alors qu’en réalité il est “travaillé”, ceci à notre corps défendant…
Je pense qu’il n’y a rien de sincère. On est à la fois manipulé et manipulateur. Cela joue dans les deux sens. La sincérité est un concept très problématique au moment d’aborder l’Humanité.
À VOIR
Christodoulos Panayiotou, “Theories of Harm”, Galerie Kamel Mennour, jusqu’au 16 avril, 47, rue Saint-André des Arts, Paris 6, T 01 56 24 03 63 ; http://www.kamelmennour.com/
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